Constellation Kérylos

Il y aura eu d’abord pour nous comme une fraîcheur d’eau au creux de la main. Après quoi on est libre de commenter à l’infini, si l’on veut.

Philippe Jaccottet, novembre 1981 (Avertissement / Traduction de L’Odyssée, Homère)

Le « voyage » entamé autour de l’exposition Nostalgies, en juin dernier, se ponctue de rencontres, de découvertes, de coïncidences…
Un lien tissé avec l’auteure (et amie) Sophie Rabau m’a conduit à illustrer son très beau projet de concert, dans le cadre de sa résidence à la Villa Kérylos (Beaulieu-sur-mer) :

« C’est un concert comme une fête, donnée à la villa Kérylos, chez Théodore Reinach, une fête où l’on peut tout imaginer, où l’on peut convier qui l’on veut pour dessiner une constellation où se mêlent l’histoire et l’imagination, le passé et le présent. Tous ceux à qui nous pensons quand nous sommes dans la villa de Théodore Reinach, nous allons les faire venir, les présenter, leur donner une voix et un corps, les faire se rencontrer. Il y aura des héros grecs, des Hébreux et des Romains, mais aussi une courtisane parisienne venue par le chemin de fer depuis le 19ème siècle, une chanteuse grecque antique, une chanteuse grecque moderne et quelques autres invités. On parlera à tous les temps et même parfois au futur. Et chacun pendant la fête pourra continuer à rêver à tous ceux et à toutes celles qui pourraient bien un jour venir à Kérylos, rendre visite à Théodore Reinach pour une fête, un bal, un carnaval. Invitez qui vous voulez… »

Il y a du bleu, la Méditerranée, le péristyle de la Villa Kérylos, le voyage d’Ulysse…
Comme souvent, lorsque j’entame un travail pour un visuel, je pars dans différentes directions, présente plusieurs pistes, et ce n’est pas forcément celle que je préfère qui est retenue… Mais comme souvent aussi, la piste retenue ici était la bonne.

Quand le plan et les vues du péristyle de la Villa Kérylos, le trajet d’Ulysse autour de la Méditerranée, la constellation des noms du programme musical, les étoiles des décors peints de la villa se télescopent sur fond d’encre bleue, plusieurs voies sont possibles ; parmi les pistes, deux ou trois interpellent particulièrement, puis il faut faire un choix. Ensuite, le visuel entame son existence propre, le concert a lieu, et j’oublie les étapes précédentes…

Le trajet d’Ulysse imaginé par Victor Bérard
Le trajet d’Ulysse devient la Constellation Kérylos, ponctué par les noms du programme du concert ; sur fond de Méditerranée, avec ses différentes profondeurs. Les étoiles reprennent les étoiles peintes aux plafonds de la villa.

Les éléments qui représentent la villa (plans, photos, détails…) vont servir de fond pour contextualiser le projet de la Constellation Kérylos.


J’élabore des propositions à partir des éléments recueillis, de mes pistes de réflexion, de mes productions « plastiques » et de mon inspiration…

J’aboutis la piste retenue, je la décline pour différents usages.
J’ai la chance, ensuite, de me rendre sur place, à la villa Kérylos, pour assister au concert (dans sa première partie, la seconde partie ayant dû être annulée pour cause d’intempéries…)

De moment en moment

Pourquoi ce chemin plutôt que cet autre ? Où mène-t-il pour nous solliciter si fort ? Quels arbres et quels amis sont vivants derrière l’horizon de ses pierres, dans le lointain miracle de la chaleur ? Nous sommes venus jusqu’ici car là où nous étions ce n’était plus possible. On nous tourmentait et on allait nous asservir. Le monde, de nos jours, est hostile aux Transparents. Une fois de plus, il a fallu partir… Et ce chemin, qui ressemblait à un long squelette, nous a conduit à un pays qui n’avait que son souffle pour escalader l’avenir. Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinée, dans la boucle du Temps artiste, entre la mort et la beauté.

René Char, La Postérité du soleil
Photo Henriette Grindat, La Postérité du soleil

Ce texte m’a été transmis par Ulysse Guyot, visiteur inattendu (et inespéré) de notre exposition « Nostalgies », suite à une discussion entamée lors de son passage (et que se poursuit aujourd’hui, y compris sous forme épistolaire…)

Ulysse m’a envoyé ce texte en même temps que celui de Sophie Rabau, Ulile (texte qu’elle avait rédigé pour le catalogue de l’exposition Le temps de l’île au Mucem) ; Ulile me relie à l’Odyssée, son univers infini, et divers projets avec Sophie (dont celui de la Constellation Kérylos).

Le très beau texte de René Char, De moment en moment, est l’ouverture d’un livre projeté avec Albert Camus, La Postérité du soleil, et illustré de photographies d’Henriette Grindat. Projet de « livre sur le Vaucluse », hymne à la grande amitié entre les deux hommes et leur amour de la terre du Luberon, où ils vivaient l’un et l’autre.

Peut-être une piste pour une exposition à venir ?…

Exposition Nostalgies – « Attendre encore, et je partirai. »

Du 17 au 21 juin dernier, j’ai eu la possibilité d’investir la vaste galerie de mon lieu de travail (Espace Voltaire, Paris 11e, tiers-lieu à vocation artistique) pour une exposition personnelle en collaboration avec l’artiste Lina El Herfi.
Nous avons choisi d’aborder le thème de la nostalgie, avec chacune une approche singulière : pour Lina, l’évocation d’un pays qu’elle ne connaît pas, mais qui lui a été conté par ses parents et grands-parents, pour moi, un voyage vers la Méditerranée de mon enfance, fortement impressionné de lumière et de bleu…
Texte pour l’exposition : http://armelletrouche.com/blog/wp-content/uploads/2021/07/Texte_AT.pdf

Œuvres présentées : 6 grands formats – composition photo, encre, dessin numérique, tirages sur calque format A0 // installation photo, Archétypes de la Méditerranée // petits formats, encres et collages, Les îles invisibles // carnets de dessins de voyage

Photo Stefania Becheanu